C-A Marchand: Du Manic à l'Impact (2e partie)



Le ciel était gris, un peu menaçant. Il y avait plus de 58 000 spectateurs dans les gradins du Stade olympique pour le match de quart de finale opposant le Sting de Chicago et le Manic de Montréal. C’était il y a près de trente ans.

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Même si l’Impact réussit à battre le record samedi pour son match inaugural à domicile dans la MLS, il n’est pas gagné à l’avance que l’ambiance sera la même. Un match d’ouverture et un match éliminatoire, ce n’est pas nécessairement aussi électrisant.

C’était le mercredi 2 septembre 1981. C’était magique. J’étais sur les lignes de côté, avec micro et casque d’écoute, prêt à intervenir pendant la radiodiffusion du match assuré par Pierre Donais et Christian Tortora. J’étais médusé. Je n’avais que vingt ans et, pour tout vous avouer, je me sentais quelque peu intimidé derrière le banc du Manic, devant cette foule tonitruante. Je savais aussi que je vivais un épisode inoubliable d’une carrière naissante dont je ne pouvais soupçonner la suite tant je restais convaincu de pratiquer le journalisme sportif dans l’attente d’enfin devenir un cinéaste reconnu internationalement, rien de moins. À vingt ans, les espoirs les plus fous nourrissent nos passions. À vingt ans, on ignore tout des détours qu’une vie peut emprunter. C’est sans importance parce qu’à vingt ans, on est immortel et tous les rêves sont permis. Il est bien qu’il en soit ainsi et non, je ne regrette rien.

Le Stade était bondé et l’ambiance était complètement folle. Je n’avais jamais rien vécu de tel, même si j’avais eu la chance d’être là le 31 décembre 1975 au Forum, pour le match nul de 3-3 entre le Canadien et l’Armée Rouge où Vladislav Tretiak fut ovationné à l’en faire pleurer, à l’émouvante cérémonie d’ouverture des Jeux de 1976 ou dans ce même Stade, pour la victoire éclatante des Alouettes à la Coupe Grey de 1977.

Le soir du 2 septembre 1981, je fus plus ému que jamais je ne l’avais été jusque-là dans ma jeune vie par une foule dont l’intensité s’avéra tout simplement déroutante. J’en ai encore des frissons en écrivant ce texte.

On se serait cru en Italie, au Brésil ou en Espagne. Le pauvre annonceur maison a parlé pour rien toute la soirée. La foule, avec ses tambours, ses chants et ses trompettes, l’enterrait sans effort même quand elle prenait un semblant de pause. J’avais vingt ans, je n’étais qu’une recrue, j’étais tout petit sur ce terrain que j’avais surtout vu depuis les gradins avant d’être embauché, quelques mois plus tôt seulement, comme journaliste sportif à CJMS qui avait encore pignon sur rue dans l’édifice du Palais du Commerce, qui a été démoli pour faire place à la Grande Bibliothèque.

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Le match était commencé depuis à peine cinq minutes lorsque le meilleur buteur du Sting, Karl-Heinz Granitza profita d’un coup franc de vingt mètres pour ouvrir la marque. Vingt minutes plus tard, c’était au tour d’Ingo Peter de déjouer le gardien Bob Rigby avec un puissant tir d’une quarantaine de mètres qui était passé tout juste sous la barre transversale. Rigby avait à peine effleuré le ballon du bout des doigts. C’était 2-0 en faveur du Sting, mais la foule n’avait pas cessé d’y croire et continuait de s’époumoner avec enthousiasme. Après tout, Guy Lafleur et le Canadien nous avaient habitués aux remontées spectaculaires. Je sais que le soccer ce n’est pas le hockey, mais il y a trente ans, nous n’avions pas tous fait cette distinction.

Ce soir-là, le Manic allait toutefois nous offrir une prestation digne du Canadien de l’époque. Dès la 27e minute, le populaire Gordon Hill compléta une passe de Thompson Usiyan pour réduire l’écart. Le Manic entreprit la deuxième demie gonflé à bloc, mais le Sting résista jusqu’à la 61e minute. C’est alors que survint un revirement des plus inusités. Damir Sutevski décocha un tir imprécis qui semblait n’avoir aucune chance d’aboutir dans le filet. Le ballon a rebondi sur une couture du gazon, là où se trouvait le monticule de baseball, pour ensuite dévier sur l’épaule du défenseur Dieter Ferner et déjouer le gardien pour l’égalisation. Heureusement qu’il n’y avait pas encore de toit parce que la foule l’aurait fait exploser.

Il ne restait que cinq minutes en temps règlementaire lorsque la spectaculaire remontée du Manic connut son aboutissement avec la réussite d’Alan Willey, qui jouait en dépit de deux claquages, complétant un jeu amorcé par Tony Towers. Ce fut le délire. Imaginez la foule du Centre Bell après un but du Canadien en prolongation d’un 7e match de la finale de la Coupe Stanley (je sais que de nos jours c’est plutôt difficile à imaginer) et multipliez par dix. J’exagère à peine! Même entendre Razamanaz de Nazareth sur la première rangée du parterre au Forum n’aura pas été aussi violent sur mes pauvres tympans. Heureusement qu’il était solide notre Stade.

Après le match, Eddie Firmani, l’entraîneur-chef du Manic s’était exclamé: «C’est la foule la plus formidable en Amérique. C’est l’un des publics de soccer les plus formidables au monde entier!» Ce soir-là, nous étions plusieurs à croire que le soccer serait bientôt un sport aussi populaire chez nous que l’étaient le hockey, le baseball, le football, la boxe et la formule Un. Le Manic de Montréal avait conquis le cœur des amateurs de sports du Québec. C’était le sport d’avenir clamaient les plus optimistes. Mais la base du soccer demeurait encore fragile. Malgré les foules parfois nombreuses et spectaculaires qu’attiraient des équipes comme le Cosmos de New York et le Manic, même une équipe comme le Sting de Chicago attirait à peine 15 000 spectateurs par match. Plusieurs villes peinaient à vendre 5000 billets. Molson a retiré ses billes deux ans plus tard, au moment où la Ligue était sur le point de déclarer faillite. L’aventure du Manic et du soccer professionnel n’auront été qu’un feu de paille.

Le Supra, cinq ans plus tard, puis l’Impact au début des années 90, ont tenté de bâtir sur les fondations établies par le Manic, mais ce fut long et laborieux. Montréal aura finalement attendu 29 ans, presque trois décennies, pour  revenir dans les ligues majeures du ballon rond. Espérons que cette fois sera la bonne. Je nous souhaite d’autres matches de soccer mémorables, dans le grand comme dans le petit Stade adjacent.

J’espère aussi que cette fois, la RIO aura payé quelqu’un pour faire un peu de ménage même si vous me permettrez d’en douter. J’ai encore sur le cœur la malpropreté du Stade lors de la demi-finale de l’Est entre les Alouettes et les Tiger Cats en novembre dernier.