Sylvie Fréchette médaillée d'or après une attente interminable

L'une des médailles les plus mémorables des Jeux Olympiques de 1992 à Barcelone n'a été décernée que 16 mois après la compétition. Le 6 décembre 1993, Sylvie Fréchette reçoit enfin la médaille d'or de natation synchronisée qui, jusque-là, lui avait été refusée en raison d'une erreur de pointage.

Sylvie Fréchette a longtemps attendu sa médaille, d'autant que la nageuse a fait preuve d'une détermination à toute épreuve malgré des circonstances personnelles douloureuses : son grand-père décède quelques mois avant les Jeux Olympiques et son fiancé, le directeur d'affaires Sylvain Lake, se suicide dans leur condo une semaine avant le début de la compétition. Elle parvient malgré tout à surmonter ces drames et exécute la performance de sa vie dans le bassin de Barcelone.

Pourtant, son exploit ne suffit pas à décrocher l'or, du moins immédiatement. Sylvie Fréchette livre une performance exceptionnelle au tour éliminatoire de la compétition en solo et tous les juges lui octroient des notes comprises entre 9,2 et 9,6 – tous, sauf une. La juge brésilienne Maria da Silveira Lobo lui donne une note étonnamment basse de 8,7 aux figures imposées. Un pointage dû à une erreur et non à un excès de sévérité.

Maria Da Silveira Lobo compte inscrire une note de 9,7 mais se trompe de bouton. Aussitôt, elle tente de changer la note mais n'est pas en mesure d'expliquer à l'arbitre adjoint japonais comment l'erreur s'est produite. Le pointage devient permanent. Malgré les protestations de l'équipe canadienne, Sylvie Fréchette doit poursuivre la compétition en accusant un sérieux retard. Cela ne suffit pas à l'empêcher de livrer un spectacle extraordinaire.

Malgré une remarquable performance durant la finale, l'erreur de pointage relègue Sylvie Fréchette en deuxième position derrière l'Américaine Kristen Babb-Sprague. En dépit d'une honorable médaille d'argent, la nageuse doit faire preuve d'un courage hors du commun pour maintenir la tête haute face à l'acharnement du sort. Mais Sylvie Fréchette a un puissant allié de son côté, grâce à qui son odyssée olympique de 1992 connaît une fin heureuse.

Son nom: Dick Pound. Bien avant sa nomination à la tête de l'Agence mondiale antidopage et ses innombrables conflits avec des représentants de divers sports, du hockey au cyclisme, M. Pound était déjà une figure d'influence dans le monde olympique. Cet ancien nageur canadien, qui a participé aux Jeux olympiques de Rome en 1960, a occupé plusieurs rôles au sein du comité olympique canadien avant d'en devenir le président. Dick Pound a été élu au Comité international olympique en 1978 et a pris en charge la responsabilité des négociations des droits télévisés et des commandites, qui ont fortement contribué à faire des Jeux l'événement sportif majeur qu'ils sont aujourd'hui.

Vice-président du CIO au moment des Jeux de 1992, il est pressenti pour succéder au président Juan Antonio Samaranch. Néanmoins, le comité lui préfère finalement Jacques Rogge. Il est de notoriété publique de M. Pound fait à l'époque partie des membres les plus influents du CIO. Il fait pression pour que Sylvie Fréchette obtienne la médaille dont elle a été privée du fait de cette erreur technique d'arbitrage.

Au bout de 16 mois, ces efforts finissent par payer. La fédération de natation internationale, la FINA, se prononce en faveur de la médaille d'or et le CIO finit par lui emboîter le pas. Après de longs mois d'attente, la nageuse reçoit enfin sa médaille d'or le 6 décembre 1993, devant 2 000 admirateurs au Forum de Montréal. Sylvie Fréchette ne s'en tient pas à ce moment de gloire: elle fait un retour remarquable deux ans plus tard dans l'équipe de natation synchronisée canadienne, qui remporte la médaille d'argent aux Jeux Olympiques d'Atlanta en 1996. La conclusion triomphale d'un parcours ponctué de tragédies.

Avant tout, l'histoire de Sylvie Fréchette a établi un précédent. Le CIO a pris une décision remarquable en reconnaissant l'erreur de la juge et en décernant la médaille d'or à Sylvie Fréchette sans retirer celle attribuée à Kristen Babb-Sprague. Les nageuses sont désormais les deux médaillées d'or officielles des Jeux de Barcelone. La situation est particulièrement délicate: on peut difficilement retirer une médaille d'or 16 mois après les faits. Le comité a tenté de rectifier le tir en reconnaissant le mérite de l'athlète victime de l'erreur, sans pour autant diminuer la performance de celle qui en a bénéficié (une approche très différente de celle adoptée par le CIO en cas de dopage, par exemple lorsque la médaille du 100 mètres a été retirée à Ben Johnson pour être remise à Carl Lewis en 1988).

Pour certains, l'attribution de deux médailles d'or paraît hypocrite, voire ridicule. Cette pratique du CIO est néanmoins presque officielle, comme l'illustre le cas des patineurs artistiques canadiens Jamie Sale et David Pelletier qui ont reçu leur médaille d'or après les Jeux de 2002 à Salt Lake City (ils sont désormais médaillés d'or ex æquo avec les Russes Yelena Berezhnaya et Anton Sikharulidze).

Le parcours épique de Sylvie Fréchette aux Jeux de 1992 n'est pas seulement une leçon de courage et de persévérance face aux tragédies et à la malchance. Il marque également une décision historique du CIO en matière d'erreurs de pointage, un problème malheureusement récurrent, dont Londres n'est pas à l'abri.