Instants inoubliables: les Jeux de Montréal 1976

Entre la triomphale médaille d'argent de Greg Joy pour le saut en hauteur, la note parfaite de 10 de la gymnaste Nadia Comaneci et la dette faramineuse que la ville a mis plus de 30 ans à rembourser, les Jeux Olympiques de Montréal de 1976 ont laissé des souvenirs indélébiles dans l'esprit de nombreux Canadiens.

Mais pour les athlètes et représentants officiels de la communauté sportive canadienne, les Jeux de 76 ont marqué la naissance d'un système de développement et de financement grâce auquel le Canada a pris sa place sur la scène internationale. Un système qui, bien des années plus tard, a permis au pays de récolter un nombre de médailles record aux Jeux Olympiques de Vancouver de 2010.

«Les Jeux Olympiques de Montréal ont été le catalyseur de ce que l'on appelle aujourd'hui le système sportif canadien, explique Bruce Kidd, auteur, ancien athlète olympique et professeur à la faculté de kinésiologie et d'éducation physique de l'Université de Toronto. Cette véritable montée d'adrénaline a abouti à la création d'une série de structures de développement des installations, d'entraînement, de soutien aux athlètes, etc.»


Pour Sylvie Bernier, le déroulement des Jeux à Montréal a enflammé l'esprit de compétition qui lui a valu la médaille d'or du plongeon aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984. À 12 ans, elle assistait aux épreuves de plongeon à la piscine olympique.

«Cet événement a vraiment été une révélation, le point de départ de ma carrière de plongeuse, explique Sylvie Bernier, nommée chef de mission adjointe pour le Canada aux Jeux Olympiques de Londres cet été. Je regardais tous ces plongeurs depuis la tribune... J'étais admirative devant mes idoles.»

«Je me souviens très bien avoir déclaré à mes parents qu'à compter de ce jour, ma décision était prise : je participerais aux Jeux Olympiques. J'ai senti que c'était possible.»

Avant les Jeux de 1976, les athlètes amateurs ne bénéficiaient d'aucun financement extérieur.

«Pour participer aux essais nationaux, il fallait récolter des fonds en emportant sa médaille d'or et en vendant des insignes devant un supermarché ou un magasin de spiritueux», explique Bruce Kidd, coureur aux Jeux de 1964.

L'obtention des Jeux par le Canada a entraîné la création de Sport Canada, l'établissement du programme de soutien aux athlètes et la fondation de l'Association canadienne des entraîneurs.

«Le système ultra-performant financé et géré par l'État que nous connaissons aujourd'hui date du début des années 1970, avec pour point de départ les Jeux de Montréal», explique Bruce Kidd.

Pour beaucoup de Canadiens, le dernier jour de la compétition a été le moment fort des Jeux: sous une pluie battante, Greg Joy se mesurait au Polonais Jacek Wszola et à l'Américain Dwight Stones, détenteur du record mondial, devant 70 000 personnes au Stade olympique.

La foule a massivement hué Dwight Stones, accusé d'avoir critiqué Montréal et les Québécois sur l'organisation des Jeux. Ce dernier a réfuté avoir tenu de tels propos.

Jacek Wszola a remporté la médaille d'or avec un saut de 2,25 mètres. Greg Joy a remporté l'argent avec un saut de 2,23 mètres. Dwight Stones n'est pas parvenu à égaler la performance de Joy et a terminé sur la troisième marche du podium. C'était la première fois depuis 1964 que le Canada remportait une médaille olympique d'athlétisme, mais Greg Joy concède avoir éprouvé des sentiments mitigés.

«Je n'avais que l'or en tête, a-t-il déclaré ultérieurement dans une entrevue. Au moment où j'ai su que j'avais remporté l'argent, j'étais fou de joie. Et lorsque l'or m'a échappé, j'étais anéanti. On participe pour gagner.»

La performance de Greg Joy a fait la fierté du pays. Pendant des années, son saut légendaire a figuré dans la vidéo Ô Canada, anciennement diffusée lors de la fermeture des ondes de la CBC.

Remboursé en... 2006

L'organisation des Jeux a été confiée à Montréal le 12 mai 1970 durant la session du Comité Olympique International à Amsterdam. La ville a alors battu les candidatures de Moscou et Los Angeles. Pour la première fois, des Jeux Olympiques avaient lieu au Canada, quatre ans après l'assassinat de 11 athlètes israéliens aux Jeux de Munich de 1972.

La reine Elizabeth a officiellement ouvert les Jeux le 17 juillet 1976. Plus de 6 000 athlètes de 92 nations (4 700 hommes et 1 200 femmes) ont participé aux épreuves dans 21 disciplines sportives. Vingt-six pays africains ont boycotté les jeux pour protester contre la participation de l'équipe de rugby néo-zélandaise à une tournée de trois mois dans une Afrique du Sud où régnait encore la ségrégation raciale.

L'Union soviétique a dominé les Jeux avec 125 médailles, dont 49 médailles d'or. Les États-Unis ont remporté 94 médailles (dont 34 d'or), tandis que l'Allemagne de l'Est s'est classée en troisième position avec 90 médailles (dont 40 d'or).

Les athlètes canadiens ont récolté 11 médailles (cinq d'argent et six de bronze). Pour la première fois, un pays organisateur des Jeux d'été n'a remporté aucune médaille d'or.

C'est dans le bassin olympique que le Canada a remporté huit de ses médailles, notamment grâce à la jeune Nancy Garapick qui, à 14 ans, s'est illustrée dans les 100 mètres et 200 mètres dos.

Personne n'a oublié la célèbre déclaration du maire de Montréal, Jean Drapeau, avant les Jeux: «Il est aussi impossible pour les Jeux olympiques de Montréal de produire un déficit que pour un homme de devenir enceinte».

À l'origine, les coûts d'organisation des Jeux avaient été chiffrés à 310 millions de dollars. Mais en raison des grèves qui ont paralysé la construction du Stade olympique et du resserrement de la sécurité après la tragédie de Munich, la facture a explosé pour atteindre 1,5 milliard de dollars. Le dernier remboursement du stade, surnommé ironiquement «The Big Owe» (la grande dette) au lieu de «The Big O» (le Grand O) en raison des dépassements de coûts astronomiques, a enfin été versé en novembre 2006.

Selon Dick Pound, ancien membre exécutif du Comité International Olympique et ancien président du Comité Olympique Canadien, le trou budgétaire s'explique par les coûts d'investissement. Les Jeux proprement dits ont rapporté 150 millions de dollars. L'événement a été salué pour son organisation et ses idées de commandite novatrices, comme la loterie olympique.

«En dépit de toutes les difficultés, surtout liées à la construction, ceux qui ont vécu cet événement vous diront qu'ils n'ont jamais vu de Jeux aussi bien organisés», déclare Dick Pound.

Montréal a ouvert la voie à la victoire des candidatures de Calgary pour les Jeux d'hiver de 1988 et de Vancouver pour les Jeux de 2010.

«Je pense que les Jeux de Montréal ont démontré que le Canada avait un rôle à tenir dans l'organisation et dans d'autres domaines», explique Dick Pound.

Les Jeux Olympiques ont produit de nombreux moments inoubliables:

·    À 14 ans, Nadia Comaneci a abasourdi le monde entier en obtenant la note maximale de 10. La jeune Roumaine a remporté trois médailles d'or. Chez les hommes, le gymnaste soviétique Nikolai Andrianov a gagné quatre médailles d'or.
·    En natation, l'équipe américaine a raflé la médaille d'or dans toutes les épreuves, sauf une. Les nageuses est-allemandes ont également remporté presque toutes les médailles d'or, à deux près.
·    Les boxeurs américains Sugar Ray Leonard, Leon Spinks, Michael Spinks, Leo Randolph et Howard Davis Jr. ont tous été médaillés d'or. À l'exception de Davis, tous sont ensuite passés professionnels.
·    Taro Aso, membre de l'équipe de tir japonaise, a ensuite été élu premier ministre du Japon.
·    Durant la cérémonie d'ouverture, le drapeau national porté par l'équipe israélienne arborait un bandeau noir en commémoration du massacre de Munich.
·    Pour la première fois, le basketball, le handball et l'aviron féminins ont fait leur entrée dans les disciplines olympiques.

Les Jeux ont aussi connu de petits aléas:

·    Un orage a éteint la flamme olympique quelques jours après le début des Jeux. Un membre de l'équipe officielle l'a rallumée avec son briquet. On a alors décidé d'éteindre de nouveau la flamme, pour la rallumer à l'aide de la flamme d'origine.
·    La Princesse Anne, membre de l'équipe équestre britannique et fille de la reine Elizabeth, a été la seule athlète féminine à ne pas subir de test de vérification du sexe.
·    Boris Onishchenko, membre de l'équipe soviétique de pentathlon moderne, a été disqualifié pour avoir truqué son épée en y ajoutant un dispositif lui permettant de déclencher le système de marquage en sa faveur. Il s'attira les foudres de certains de ses coéquipiers, qui menacèrent de le jeter par la fenêtre d'un hôtel.