C-A Marchand: Du Manic à l'Impact...



Plus de 50 000 spectateurs sont attendus samedi après-midi au Stade olympique pour le premier match à domicile de l’Impact de Montréal dans la MLS. Joey Saputo et son équipe espèrent battre le record du Manic et de ses 58 542 spectateurs pour le premier match de la série quart de finale contre le Sting de Chicago dans la LNAS, le 2 septembre 1981, la ligue majeure de l’époque qui attira plusieurs grands noms du soccer au cours de sa brève existence dont Pelé, Beckenbauer et Chinaglia. Vous ne pouvez imaginer tous les souvenirs qui me reviennent soudainement de cette époque qui était probablement l’âge d’or du sport à Montréal.

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J’avais vingt ans. C’était hier. Ronald Reagan était maintenant le président des États-Unis depuis quelques mois, ayant succédé à Jimmy Carter. Kadhafi menaçait l’Amérique. Khomeiny menait une guerre civile en Iran. Lech Walesa tentait de sauver la Pologne. La Chine prévenait les journalistes occidentaux de ne pas se mêler aux dissidents. Des pasteurs dénonçaient le satanisme caché dans la musique rock. Des psychiatres inquiétaient les parents face aux dangers d’exposer leurs enfants à des films aussi violents que Raiders of the Lost Ark, le dernier film de Steven Spielberg, qui venait d’ailleurs d’être banni en Suède et qui chez nous était interdit aux moins de 14 ans.

Le litre d’essence se vendait 39 sous, mais risquait de bondir jusqu’à 69 sous au cours des cinq années suivantes suite à une entente conclue la veille par Trudeau et l’Alberta. J’habitais NDG à Montréal, là où la loi 101 enrageait bien plus mes voisins anglophones que la «flambée» prochaine du prix de l’essence! Imaginez leur horreur en apprenant qu’il faudrait désormais commander un Hambourgeois et non un Hamburger, une bière pression plutôt qu’une draft, un bœuf mariné au lieu d’un smoked-meat chez Schwartz, du maïs éclaté et non du pop-corn et même une coupe glacée plutôt qu’un sundae. L’Anglo-Québécois se sentait menacé d’extinction moins de deux ans après la peu rassurante victoire du Non au référendum de mai 80 et le retour au pouvoir des séparatistes du Parti Québécois de René Lévesque.


D’ailleurs, en ce jour-là du 2 septembre 1981, le journaliste Tim Burke de la Gazette, qui était malgré tout un bon ami, écrivait avec une plume enflammée, dans un article consacré au football universitaire: «Ce mois de septembre est peut-être celui où nous assistons à l’élimination de l’anglais de la place publique au Québec, mais réjouissez-vous, grâce au football, il reste encore un dernier bastion, un dernier repère identitaire du Québec anglophone». Oui à cette époque le football universitaire au Québec était la chasse gardée des Anglais de Concordia, McGill et Bishop qui évoluaient dans la «Quebec/Eastern Ontario Conference». J’étais à cette époque, l’un des très rares francophones qui avaient déjà son abonnement aux matches des Stingers de Concordia. Vous comprendrez que je me faisais discret dans les gradins dégarnis du campus Loyola. Je me tenais droit comme un piquet pendant l’hymne national canadien malgré mes tendances souverainistes.

Je me souviens très bien de cette époque, mais aussi de ce mercredi 2 septembre 1981. J’étais encore étudiant en cinéma (à Concordia, vous l’aurez deviné), mais je travaillais aussi à CJMS. D’ailleurs, le soir du match, je faisais partie de l’équipe de radiodiffusion avec Pierre Donais et Christian Tortora qui savait aussi parfois s’improviser analyste de soccer entre deux Grand Prix de Formule Un. Torto arrivait de Zandvoort où Gilles Villeneuve avait été forcé à l’abandon au 16e tour à la suite d'un accrochage avec la Ligier Matra de Patrick Tambay. Malgré les déboires de l’écurie Ferrari et le manque de fiabilité de son moteur turbo depuis le début de la saison, Gilles avait signé des victoires inattendues à Monaco et en Espagne. Quelques semaines plus tard, Villeneuve et le grand cirque de la F1 étaient attendus à Montréal pour une autre course fabuleuse qu’il terminerait sans aileron avant, sous la pluie.

Mais ça, le 2 septembre, on ne pouvait s’en douter. La ville n’en avait que pour les Expos, Team Canada et le Manic, ayant brutalement délaissé les médiocres Alouettes. Le Manic de Montréal avait causé la surprise quelques jours plus tôt en éliminant en première ronde des séries les Aztecs de Los Angeles.

Le Onze montréalais avait certes profité, pour devenir la saveur du jour, de l’élimination rapide du Canadien face aux Oilers le printemps précédent (la fois où Gretzky avait mis Lafleur dans sa p’tite poche et non le contraire), de la grève qui avait scindé en deux, au milieu de l’été, la saison de baseball, mais aussi de la gênante saison des Alouettes de Nelson Skalbania. Jos Scanella était sur le point de perdre patience avec Vince Ferragamo qui n’avait mené les Zoiseaux qu’à une victoire en huit matches. Gerry Dattilio était le partant annoncé pour le prochain match contre la Saskatchewan. C’était pourtant l’année où les Alouettes avaient débauché à fort prix des vedettes de la NFL comme Ferragamo, mais aussi les receveurs de passes James Scott et Billy «White Shoe» Johnson et le porteur de ballon David Overstreet.

Les Gordon Hill, Tony Towers, Fran O’Brien, Bob Rigby et Thompson Usiyan deviendraient ainsi rapidement plus populaires que les faux prodiges qui devaient venir « brûler » la Ligue canadienne de Football. Nelson Skalbania, en foutant le bordel chez les Alouettes avec sa folie des grandeurs, aura au moins permis au Manic de trouver sa place au soleil.

De retour au jeu depuis quelques semaines, après l’arrêt de travail, les Expos talonnaient maintenant les Cards. La veille Jeff Reardon, obtenu quelques mois plus tôt en retour d’Ellis Valentine, avait freiné les Reds dans une victoire de 4-3. Ce soir-là les Expos affrontaient les Reds à Cincinnati et le match était présenté à Radio-Canada (c’était au Canal 2 à l’époque!). Équipe Canada, menée par le jeune Wayne Gretzky (qui aurait le privilège de jouer avec Guy Lafleur), avait remporté la veille le premier match du tournoi Coupe Canada en se moquant de la Finlande, à Edmonton, 9-0. Mike Bossy, Butch Goring et Clark Gillies faisaient aussi partie de l’arsenal offensif de Team Canada. Le jeune défenseur Raymond Bourque avait lui aussi été invité, malgré son peu d’expérience. Cinq ou six matches du tournoi seraient présentés la semaine suivante au Forum et il restait des billets au coût de 15 $ et 30 $.

C’était beaucoup d’argent. Pour seulement 6 $, on pouvait assister au match entre le Sting de Chicago et le Manic en ce 2 septembre 1981. Le mât n’était pas complété et la toile devant recouvrir le Stade Taillibert dormait quelque part dans un entrepôt de Paris. La météo prévoyait du temps nuageux, des averses et un mercure qui n’atteindrait pas 20 degrés. Cela n’aura pas empêché plus de 60 000 amateurs de soccer de se déplacer jusqu’au Stade dans l’espoir d’assister au match. Plusieurs de ceux qui s’étaient décidés à la dernière minute rentrèrent chez eux bredouille. Près de 10 000 personnes avaient ainsi été refoulées à la fermeture des guichets. C’était du jamais vu pour un match de soccer à Montréal.

Le Sting de Chicago représentait, après le Cosmos de New York, la deuxième puissance de la LNAS en 1981, menée par les Karl Heinz Granitza, Arno Steffenhagen, Pato Margetic, Radi Martinovic et Franz Mathieu. «Nous étions la seule équipe de la LNAS à avoir battu le Cosmos», se souvient fièrement Tasso Koutsokos, un Montréalais qui était alors un jeune milieu de terrain d’avenir avec le Sting. «C’était tellement impressionnant de voir autant de gens dans les gradins, dans la ville où je suis né, où j’ai grandi, pour un match de soccer», se souvient-il aujourd’hui derrière le comptoir du dépanneur dont il est propriétaire, à Dorval.  «Ce ne fut pas le plus grand jour de ma vie d’abord parce que je n’ai pas joué en raison d’une blessure, ensuite parce que nous avons perdu. Mais je ne l’oublierai jamais.»

Il n’est pas le seul.