C-A Marchand: Nouveau Colisée et retour utopique des Nordiques


Badaboum peut sabrer le Champagne sur la Grande-Allée; son nouveau domicile sera prêt à temps pour la saison 2015. Et à voir toutes ces belles images dans les tabloïd de Québecor, il sera beau le nouveau Colisée. Bravo. Un peu de modernité dans la Vieille Capitale ne fera pas de mal. L’industrie de la corruption pourra y inviter tout plein de ministres pour les spectacles de Céline. Même plus besoin de venir se perdre dans le trafic et les cônes orange de Montréal. On arrêtera donc jamais le progrès.

L’empire Péladeau, à qui le futur Colisée de plus de 400 millions aura été généreusement offert par l’argent des contribuables de tout le Québec, pourra y organiser de méga-spectacles de Star Académie. Les Remparts pourront même y déménager, afin de permettre à Badaboum de sortir de sa boîte et faire quelque pas de danse. L’ambiance y sera du tonnerre lorsque plus de 18 000 partisans iront y applaudir deux équipes composées de joueurs de ligue de garage qui continueront de servir de succédané à la rivalité Montréal-Québec dont on s’ennuie tellement dans le gros village.

Qui sait, une fois le lock-out terminé et le hockey sauvé dans les petits marchés comme Phoenix ou Nashville, pour se faire pardonner d’avoir laisser les villageois rêver du retour des Nordiques, on pourrait peut-être envoyer le Canadien et les Maple Leafs disputer un match présaison dans le nouveau Colisée. Je sais que vous voulez tous y croire, mais je demeure convaincu que vous caressez un rêve utopique pour plusieurs raisons, à commencer par Gary Bettman lui-même. Je sais que vous êtes nombreux à céder à la campagne de propagande des différents médias de Québecor pour vous convaincre que c’est pour bientôt, que les astres sont enfin bien alignés pour la résurrection des Nordiques. Plus le temps passe, plus je suis convaincu que vous serez déçus.

Le commissaire de la LNH a déménagé les Thrashers à Winnipeg contre son gré, la mort dans l’âme. C’est juste s’il ne s’est pas mis à pleurer en l’annonçant. Pourtant, Winnipeg est une ville qui est en plein essor depuis quelques années et, qui plus est, la capitale manitobaine n’entre en conflit avec aucun territoire ou marché occupé par d’autres équipes de la Ligue. C’est toujours un petit marché, mais avec suffisamment de sièges sociaux et de gens fortunés pour bien tirer son épingle du jeu. Au Québec, vous êtes nombreux à continuer de rire de Winnipeg où, contrairement à ce que vous croyez, les nuits ne sont plus aussi longues que dans les années quatre-vingt. Winnipeg est devenue une véritable ville.

Même si Bettman était poussé dans ses derniers retranchements, ce qui ne risque pas de se produire à moins que l’Association des Joueurs et Donald Fehr réussissent à lui servir un improbable échec et mat et que le lock-out se soldait par un cuisant échec pour les propriétaires, je demeure aussi convaincu que Geoff Molson trouvera un moyen de s’opposer au retour des Nordiques. Le Canadien n’a pas besoin de voir renaître la rivalité avec Québec pour faire salle comble, même avec une équipe médiocre. Le Canadien a-t-il vraiment envie de recommencer à se battre pour la vente de loges corporatives au Centre Bell parce que certaines entreprises pourraient être tentées d’en avoir une au nouveau Colisée de Québec plutôt qu’à Montréal?

Ne serait-ce qu’en raison de la participation de Bell dans l’organisation du Canadien. Au cas où vous n’auriez pas remarqué, depuis quelques années, la guerre qui oppose Bell et Vidéotron est des plus vicieuses. Poursuites devant les tribunaux, campagnes publicitaires de dénigrement aux limites du libelle diffamatoire, lettres d’amour aux abonnés de l’ennemi pour tenter de les attirer dans son camp : tous les coups sont permis. Comment peut-on penser que Bell ne tentera pas l’impossible pour contrecarrer le projet de retour des Nordiques tant qu’il sera mené par Pierre-Karl Péladeau et Québecor? Pourquoi Bell laisserait-elle sa plus farouche rivale commerciale posséder un outil de marketing aussi efficace que peut le devenir une équipe de la LNH dans une ville comme Québec?

Et il y a Molson, l’entreprise, pas la famille, qui aura son mot à dire. Je vous rappelle que Molson et Miller-Coors aux États-Unis, des brasseries alliées, ont investi des centaines de millions de dollars dans l’un des plus importants contrats de commandites jamais obtenu par la LNH. Vous croyez vraiment que les dirigeants des Brasseries Molson vont donner une chance aux gens de Labatt et Budweiser, déjà plutôt omniprésents dans la vieille capitale, d’être identifiés aux nouveaux Nordiques?

Enfin, il y a un autre obstacle que trop de gens au Québec oublient. La vieille capitale a-t-elle vraiment les moyens de s’offrir une équipe de la LNH dans un proche avenir? Les Nordiques pourraient-ils vraiment espérer rivaliser avec le Canadien qui peut se permettre de dépenser selon les limites du plafond salarial. Les Nordiques ne risqueraient-ils pas de devoir opérer, comme plusieurs équipes dans les petits marchés, avec un budget plus près du plancher salarial? Et si, au terme du lock-out, Donald Fehr gagnait la partie et que le plafond salarial disparaissait serait-ce une meilleure nouvelle pour les amateurs de hockey de Québec? Je ne le crois malheureusement pas.

Ne vous méprenez pas, je n’ai rien contre le retour du hockey de la LNH à Québec. Je n’y crois pas, c’est tout. Qui plus est, je suis un peu agacé par le discours de tous ces marchands de rêves, dont certains de mes collègues de la presse sportive, qui auront réussi à vous avaler une couleuvre qui, je vous le prédis, finir par coûter pas mal plus que les 400 millions de dollars annoncés. Je veux bien que l’on investisse des deniers publics dans un amphithéâtre moderne mais ça m’agace de penser qu’une fois de plus c’est un promoteur privé qui profitera de l’investissement des contribuables pour accroître sa propre fortune personnelle. Ça m’ennuie de vous voir tous béats devant une autre arnaque de ce genre.

C’est comme si le projet de nouvel amphithéâtre à Québec avait hypnotisé une grande partie de la population qui, le regard vide, répète la phrase célèbre du film « Field of Dreams »; If you build it, they will come.

Désolé, mais je maintiens que c’est prendre ses rêves pour la réalité. Ça n’arrivera pas. Je vous aurai prévenu.