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Les journalistes, ennemis de Marc Trestman



Marc Trestman aime ses joueurs et son personnel d’entraîneurs. Il les défend farouchement, bec et ongles. C’est tout à son honneur. Pas étonnant qu’il continue d’avoir le respect et l’admiration de ses joueurs même après cinq ans à la barre des Alouettes. Il apprécie particulièrement ceux qui ont une intelligence supérieure à la moyenne. Le maraudeur Matthieu Proulx était certes de ceux-là quand il portait les couleurs des Z’Oiseaux. Mais le jour où Proulx a pris sa retraite et qu’il a choisi de réorienter sa carrière dans les médias, il ne pouvait plus être considéré comme un Alouette. « À partir de maintenant, si tu veux me parler, il faudra passer par notre département des relations médias », lui avait dit sans ménagement Trestman à l’époque. La coupure fut pour le moins brutale, mais Marc Trestman n’est pas un nostalgique et encore moins un sentimental quand il est question de football. Il est aussi comme ça.

C’est un stratège qui prépare toujours le prochain entraînement ou le prochain match. C’est un leader qui tente de tout contrôler autour de lui : les habitudes et la routine de ses joueurs, l’éthique de travail de ses adjoints, le rythme des entraînements et même ce qui est permis de révéler dans les médias. « C’est un gourou », m’avait déjà dit de lui un ancien joueur. « S’il décidait de partir une secte, nous accepterions tous de nous y joindre », avait-il ajouté. Je n’en doute pas. Trestman est un motivateur exceptionnel, un leader souvent intransigeant mais parfois aussi un grand manipulateur. Il en a fait encore une fois une fascinante démonstration cette semaine suite à la déconvenue des Alouettes à Vancouver.

Ainsi, à en croire l’entraîneur-chef des Alouettes, ses unités spéciales et ceux qui en sont responsables sont bien meilleurs que le racontent les médias. « Votre perception n’a rien à voir avec ma réalité », tranche-t-il à ce sujet en réitérant sa confiance en Andy Bischoff, le coordonnateur responsable des unités spéciales. Qui plus est, Marc Trestman n’a pas l’intention d’imposer un nouvel adjoint à Bischoff comme le suggérait l’ex-Alouette Matthieu Proulx sur l’une de ses tribunes. « Je ne suis pas intéressé par ce qu’en pense Matthieu Proulx », a-t-il répliqué sèchement à une collègue qui l’invitait à commenter les propos de son ancien maraudeur.

En l’écoutant défendre Bischoff et ses joueurs, on finirait par se laisser convaincre que les Proulx, Vercheval, Philion, Lapointe ou Heppell parlent à travers leur chapeau. Qu’ils ne comprennent rien à la dynamique d’une équipe de football.  Bien sûr qu’il se garde de le dire aussi crument, mais c’est tout comme. L’homme ne laissera personne contester son autorité ou ses décisions, encore moins des gérants d’estrades. À l’entendre, la situation n’est certainement pas aussi dramatique que le prétendent les observateurs qui s’intéressent aux activités quotidiennes de l’équipe.

« On surveille de près ce que font nos unités spéciales et Andy Bischoff accomplit selon moi un travail formidable », martèle Trestman, en insistant sur les qualités de son adjoint. « Son travail est formidable par la façon qu’il enseigne et par la manière qu’il présente aux joueurs les informations. Notre personnel est derrière lui. En termes de préparation on ne peut rien lui reprocher. » Comme toujours, Trestman s’efforce d’être poli et avenant, mais on sent, semaine après semaine, qu’il est un peu plus irrité à chaque nouvelle question concernant les unités spéciales. Comme tous les grands meneurs d’hommes que j’ai connus, il a visiblement du mal à accepter la moindre critique provenant de l’extérieur.

Mais alors, comment expliquer tous ces longs retours accordés aux équipes adverses au cours des dix premiers matches de la saison régulière? « Les gros jeux ont complètement éclipsés les bonnes choses que nous réussissons avec nos unités spéciales. Quand vous concédez deux longs retours dans un match, c’est ce qui retient l’attention des gens qui en oublient les trente autres bons jeux des unités spéciales. Et c’est légitime. Nous devons nettoyer ça, cela nous a coûté de bonnes positions sur le terrain, il n’y a pas de doute là-dessus. »

Ce sera toutefois sa seule concession sur le sujet. Quand on lui fait remarquer que peu importe qui est appelé à exécuter les retours de bottés chez les Alouettes, qu’il s’agisse de Bo Bowling, Vince Anderson ou Trent Guy, que l’on a plus souvent qu’autrement l’impression qu’il n’y a personne devant eux pour réussir les blocs nécessaires afin qu’ils aient de bons corridors pour courir avec le ballon, Trestman nous rappelle à l’ordre sans élever la voix mais tout de même avec autorité. « Vous allez voir ça et vous savez, vous pouvez regarder n’importe qui d’autres jouer sur les unités spéciales pour les retours de bottés et vous direz exactement la même chose. C’est parce que vous avez vu les gros retours et ensuite vous voyez ceux-ci (des Alouettes). »

Puis, sur un ton professoral, il enchaîne cette phrase assassine, en vous regardant droit dans les yeux: « Votre perception n’est pas ma réalité. Ce ne l’est tout simplement pas. » Et vlan! Dans les gencives!

Je dois avouer que sur le coup, cette conclusion m’a laissé bouche bée. Puis, je me suis souvenu à quel point le football est un sport « militaire ». Comme tous les grands généraux, Marc Trestman considère les médias comme des ennemis dont il faut se méfier. Il l’a écrit sans vergogne dans son livre : « Persévérance : les leçons de la vie sur le leadership et le travail d’équipe. » Un livre que j’ai beaucoup aimé, soit dit en passant, malgré ce passage passablement vexant sur les journalistes. Comme tous les grands généraux au milieu d’une guerre, Trestman minimise devant les journalistes les causes véritables des batailles perdues et les lacunes de son armée. Comme tous les grands généraux, il refuse de blâmer ses lieutenants pour quoi que ce soit.

Il a une guerre à gagner, c’est tout ce qui compte à ses yeux, et il reste encore de nombreuses batailles avant de pouvoir espérer soulever la Coupe Grey le 25 novembre prochain à Toronto. C’est pourquoi il insiste sur le gouffre infini qui sépare la « perception » des journalistes, joueurnalistes ou autres analystes de football de « sa » réalité, celle d’un des meilleurs entraîneurs que l’on n’ait jamais eu à Montréal, tout sport confondu. Quitte à se laisser tenter par une certaine désinformation typiquement militaire. Quitte à déformer la réalité pour essayer de nous convaincre que notre perception est faussée par notre manque de compréhension de l’ensemble de l’œuvre. Il a peut-être raison, mais je n’en suis pas toujours convaincu.

C’est parfois agaçant. Cela prend souvent des allures de messages de propagande. Je ne me surprends plus de savoir que l’émission « Lie To Me » est l’une de ses préférés. Et surtout pourquoi il se plait parfois à me dire que je lui rappelle le personnage principal de cette télésérie, Cal Lightman (joué par Tim Roth). Je comprends un peu plus pourquoi à chaque jour que je le côtoie.

Il est brillant Marc Trestman et il le sait quand je ne crois pas un mot de ce qu’il nous dit, même quand je fais semblant de le croire… Bah, c’est de bonne guerre!